Vendredi 18 avril 5 18 /04 /Avr 15:13

                                                               CHAPITRE I


                                              LA RENCONTRE

 

J’ai toujours été attirée par l’œuvre controversée du peintre M., disparu, il y a cinq ans, dans un accident de la circulation. Déjà adolescente, l’impudique charme de ses créatures me faisait plus vibrer que n’importe quelle actrice, chanteuse ou encore ambassadrice de mode. Ce goût, peut-être trop intellectuel, peut-être trop équivoque, m’a mise devant une évidence : dans le milieu où j’ai grandi, on juge inutile et dépourvu de sens ce que l’on n’arrive pas à comprendre. On rejette catégoriquement ce qui trouble nos sens et ce qui fait perdre le sang froid. La nouveauté commerciale est plus appréciée que la nouveauté des idées. Ce manque de curiosité envers la vie me semble caractéristique pour ma région.

 
Je dois être en décalage avec mes parents et mon frère, avec mes copines et mon entourage, peut-être même avec mon époque. J’étais aussi en décalage avec mon mari. Je l’ai mis à la porte seulement un an après notre mariage.

 
Je m’appelle Bella et j’ai vingt sept ans. Je suis bibliothécaire dans une petite ville touristique dans le sud de la France et je m’ennuie. J’aimerais me détacher de la conformité qui règne dans le soi-disant individualisme actuel. Je n’ai pas envie de m’enfermer déjà dans des clichés qui me paraissent ridicules. Je me sens trop jeune pour faire une croix sur une vie authentique et passionnante. Mais je suis toute seule et, pour que cela soit dit, pas très audacieuse pour réaliser mes envies. Pourtant ce ne sont pas les rêves qui me manquent et je me consume à petit feu à force de subir ce que les autres me dictent.

 
Puis, un mercredi ensoleillé du mois de mars, je m’étais enfuie de ma campagne vers Toulouse. Un exploit à mon niveau, motivé par une rétrospective en honneur d’M. Les barrières de la résignation, de la docilité et de la passivité s’effondrent parfois les jours de mes congés. 

 
Au musée de l’art contemporain l’inimaginable s’est produit. J’ai rencontré la "Fille aux cheveux noirs". Elle ne ressemblait plus vraiment à la jeune fille qui avait posé vingt cinq ans auparavant pour ce tableau. Une femme au sommet de sa beauté se tenait devant moi dont le visage reflétait encore les traits candides qui avaient rendus le tableau célèbre. Elle avait remplacé sa jeunesse par une personnalité intrigante ; un mythe qui a su bien vieillir. J’étais tout de suite fascinée par cette femme, au point de prendre l’allure d’une statue au beau milieu des tableaux. C’est là, où elle m’a adressé la parole.

 
-Préférez-vous les visions des autres aux merveilles qui sommeillent en vous ?

 
-Pourquoi cette question ?

 
-Nous sommes mercredi après-midi et dehors il fait bon. Les salles sont vides. À part vous et moi, personne n’est tenté aujourd’hui par la culture.

 
En fait, j’espère que je ne vous déçois pas trop. La beauté des muses n’est pas éternelle.

 
Pour la première fois de ma vie je me trouve en face d’un être qui appartient à un monde habituellement fermé aux humbles mortels. Je me refuse de vouer un culte aux people, mais je suis impressionnée quand même. Je me sens bête devant cette femme, Chloé M., icône de mon adolescence, connue pour son audace et – les mauvaises langues l’oublient souvent - meilleure danseuse classique de sa génération.

 
Je laisse parler mon cœur :

 
-Tout le monde passe par la jeunesse. Simple coïncidence biologique. Personnellement j’ai un faible pour la maturité.

 
Je découvre que la singularité de cette femme réside plus dans la richesse d’expression de son visage que dans les lignes parfaites de son corps. Sa sensualité passe avant tout par le regard. C’est là où se crée la distinction entre un pur objet de plaisir et une femme consciente de ses possibilités. Ses yeux dégagent une telle présence que son corps devient un accessoire pour sublimer un ensemble. Je comprends pour quoi M. a fait d’elle son modèle favori.

 
-Quel est votre prénom ?

 
-Bella !

 
-J’aimerais vous confier un secret Bella. La présence est un art qui se travaille.

 
-Vous me trouvez effacée, n’est-ce pas ? On me le dit très souvent ?

 
-Vous ressemblez à la jeune femme que j’étais au moment de poser « pour la fille aux cheveux noirs ». Quelque chose à l’intérieur de vous fait obstacle, vous empêche de s’ouvrir à la vie.

 
-J’ai parfois l’impression qu’au fond de moi se cache une autre

 
-.Oui, une beauté qui s’ignore. Vous avez tout pour plaire et séduire. Personne ne pourrait vous résister si vous travailleriez un peu sur vous-même.

 
Je suis perplexe. Les mots de Chloé me troublent. C’est trop beau pour le croire. Mais son visage dégage une profonde sincérité. Et sa voix et si mélodieuse et si envoûtante.

J’aimerais tellement qu’elle m’apprenne.

 
-Comment s’y prendre ?

 
-Avez-vous un peu de temps devant vous ?

 
Comme une gamine, prise en flagrant délit d’espionner les adultes, je rougis.

 
-Je vous trouve adorable, dit Chloé. Cette innocente pudeur, en couleur cuisse de nymphe émue, comme aurait dit mon mari, vous va si bien.

 
-Puis-je vous répondre avec une citation de Nietzsche ? La connaissance aurait peu de charme s’il n’y avait sur le chemin tant de pudeurs à vaincre.

 
Elle me regarde avec stupéfaction. Ca y est : J’ai encore crée un décalage de plus.

 
Elle n’en tient pas compte. Ouf, je suis sauvée.

 
-Il est bientôt midi. On devrait grignoter quelque chose. Me feriez-vous le plaisir de m’accompagner dans un petit restaurant sympa. J’ai horreur de manger seule. C’est juste à quelques pas du musée. Je vous invite.

 
Je n’ai pas l’habitude de me faire offrir le restaurant. Je tiens toujours à payer ma part. Étrangement, aujourd’hui je n’ose pas refuser. Chloé est tellement entraînante. Elle me communique sa bonne humeur. Je me sens heureuse pour la première fois depuis longtemps. Après tout, cela se fête.

 
Mes pensées divaguent. Quelle est donc la raison que je me sente si heureuse ?

 
Au lieu de me réjouir d’un bonheur si inespéré, je me penche sur une analyse détaillée de mes états d’âme, ce qui est absurde en soi, mais si caractéristique pour moi. En plus, je m’égare dans les définitions.

 
Quelle est donc la définition d’un sentiment ?

 
Cette réduction cartésienne ne m’effraye pas. Je suis en plein discours de la méthode. Sentiment : l’effet qu’une situation ou un objet, ici une personne, me procure, une interprétation particulière d’un vécu, liée à la notion du plaisir ou du déplaisir, au bonheur ou malheur, ou encore à l’ambivalence amour–haine.

 
Ça y est, j’y suis.

 
Des femmes comme Chloé m’attirent autant qu’elles m’incommodent. C’est plus fort que moi. J’ai toujours méprisé ces êtres qui se font entretenir et remorquer dans la vie au nom de leur beauté. Un tel comportement n’est pas vraiment vertueux (je parle comme mes parents), dans le sens où la vertu soit une qualité profitable à tous (je parle avec les mots de Platon) et non une nourriture pour mégalomanes (je parle à travers mes propres frustrations).

 
Je sais que j’appartiens à la confrérie des frustrés et je ne peux m’empêcher de faire du prosélytisme. Je ne suis pas contre que quelqu’un se procure des biens qu’il désire, mais d’une manière irréprochable, sans profiter des autres.

 
Quand j’étais adolescente, je suis passée dans un moule pour briser mes espérances. L’indépendance ne t’apporte rien. Pense à te marier.

Je déteste mes parents.

 
Alors je me suis révoltée : jamais je ne dépendrais matériellement d’un mec. Je suis devenue une femme libre ; par mon travail j’assure mon autonomie. Mon attirance pour Chloé me paraît suspect. Apparemment elle a bien suivie les conseils à l’égard des adolescentes. Par son allure, par sa carrière de modèle et rôle d’épouse elle arrive parfaitement à feindre une femme tel qu’elle devrais être. Sa façon de se vêtir ressemble à un déguisement. Son maquillage sert de masque. L’illusion est réussie. Mais elle va plus loin encore et c’est la où la double morale se dévoile : on accepte sans mal ce qu’on appelle une femme féminine, par contre on stigmatise la provocation. Quelle hypocrisie.

 
Pour l’instant je ne saurais dire si Chloé est intelligente ou pas. Par contre elle possède perspicacité et sens d’observation. Qu’a-t-elle vu au fond de mon âme, qui me vaut sa sympathie ?

 
J’ai l’impression que derrière une futilité apparente elle cache sa véritable personnalité, tandis que moi je la cache derrière une façade intellectuelle. Ce point, d’être obligé de jouer au cache-cache, peu importe l’approche à notre société, nous unis. Pour s’épanouir, tous le monde a besoin d’être reconnu dans sa vraie nature par un autre être humain. Et si c’était Chloé qui m’apporterait cette reconnaissance qui me manque tant.

 
Par une chance inouïe je saute sur un train en marche, à la première occasion qui se présente, même si mes sentiments envers Chloé et son monde ne sont pas sains. Je suis jalouse par privation d’un tel vécu qui me paraît subitement extraordinaire et enviable. Pour l’instant je ne suis pas capable de faire entièrement le tour de la question. Accrochée aux baskets Chloé, je lui suis comme une ombre qui se languit de la lumière. J’ai honte de moi et de mes pensées envers cette femme qui ne manifeste que des gestes de gentillesse à mon égard. La fascination opère, je suis subjuguée par ce que l’on appelle communément le charme.

 
Pour la saison l’air est un peu frais. L’idée de vivre quelque chose d’inhabituel me réchauffe.

 
Chloé m’amène dans un restaurant libanais. Je ne connais pas cette cuisine et il me tarde de la découvrir avec ma nouvelle amie.

 
Liban veut dire en arabe « montagne blanche ». Il s’agit d’une chaîne de montagne qui atteint jusqu’à trois mille soixante-six mètres et qui se situait en Syrie jusqu’en 1946, date de la fondation de la république indépendante du Liban. Venant de la montagne, je suis curieuse de savoir s’il existe, entre deux régions géomorphologiquement si semblables, mais géographiquement si distantes, des similitudes concernant la nourriture.

 
En entrant dans le restaurant, nous sommes accueillies par une musique douce et dépaysante ; l’odeur des épices caresse mes narines et la chaleur de l’endroit et sa décoration me font oublier la France. Je ne suis jamais allée au Liban. Je ne peux qu’imaginer à partir des photos dans les revues et livres de ma bibliothèque. Je suis bien documentée en géo ; sur la bouffe aussi, bien sur.

 
Malheureusement sans la chaleur d’un vécu, un livre de recettes ne sert que des plats froids. Je regrette amèrement de ne jamais prendre le temps de cuisiner. Quelle drôle d’idée. Je suis une femme libérée, une femme active. Je n’ai pas le temps, ni l’envie de m’intéresser aux taches ménagères. Et Chloé ? Saurait-elle préparer des petits plats ou est-ce que la vie d’artiste se déroule exclusivement dans les derniers restaurants à la mode ?

 
En tout cas, concernant le Libanais, je ne voudrais pas avoir un air trop ignorant en face de Chloé. J’en doute que ma culture de bibliothécaire fasse le poids. Alors je prends une décision importante : Je ne m’entourerai pas d’apparences trompeuses. Comment disent les Chinois ? Quelqu’un qui pose une question est considéré comme bête pendant cinq minutes, quelqu’un qui ne la pose pas, reste bête toute sa vie. Chloé m’inspire confiance. C’est décidé, avec elle, je serais enfin moi.

 
À mon grand étonnement ce restau ne marche pas trop mal. Quasiment plus de places sont disponibles. Le patron, derrière son comptoir, s’active et vient pour nous saluer. Visiblement il est familier avec Chloé. Il l’aide à enlever son impair ; à moi aussi à la même occasion. Il y a un début à tout. Je savoure ce geste d’attention. Ça me change agréablement des mœurs de la campagne.

 
Chloé porte une longe robe noire à manches touts simples. Dans cette ambiance exotique, la lumineuse base teintée de son visage avec des éclats de nacre, la rend presque irréelle. Le mascara brun roche, les paupières bleu vert irises, le rouge Chanel des lèvres et la coiffure, mise en plis à la Lauren Bacall, mettent à la merveille son côté excentrique en valeur. Pas surprenant qu’elle attire les regards. Le fait que ce soit moi qui l’accompagne, me donne de l’assurance.

 
Le restau possède une petite mezzanine, tout juste assez grande pour une table. La vue est plongeante, l’ambiance cosy et l’intimité garantie.

 
On montant les escaliers, je remarque la couture noire des collants de mon amie, un trait noir d’une droiture irréprochable en alignement harmonieux avec les talons aiguilles. À la démarche de Chloé on reconnaît facilement sa formation de danseuse classique. Avec elle je saisis ce que le terme élégance signifie vraiment.

 
-Les restaurants sont une bonne école de vie, dit Chloé. Il faut goûter à tout pour se faire une opinion. Désirez-vous du vin avec le repas Bella ? Je vous le conseille vivement. Les vins libanais sont fameux.

 
-J’adore les bon vins Chloé. Mais je dois refuser. Je viens d’A. et quand je me déplace en voiture je ne bois jamais.

 
-Je vous trouve bien raisonnable. Alors de l’eau minérale pour nous deux ?

 
-Volontiers !

 
L’étude de la carte nous prend un petit instant. Chloé m’explique les plats différents (fatouche, falafel, chich taouk et baklava). 

 
Puis, elle me pose des questions sur les régimes. Entre femmes il n’y a pas de mal.

 
-Le bon choix de la nourriture est d’une importance fondamentale. Sans alimentation pas d’avenir, inconvénient et privilège à la fois pour tout être doté d’un corps.

Ou, comme disait Roger Bacon, le moine franciscain : avant de commander la nature, il faut d’abord apprendre à lui obéir.

 
-Quel étrange vocabulaire Bella ! Obéir, commander ! Cherchons plutôt le côté jouissif de la vie.

 
-Je ne vois rien de jouissif dans la privation.

 
-Qui parle de privation ! Manger de tout, oui, mais en quantité raisonnable. Ensuite écouter son corps. Rien de plus simple. Il suffit de faire confiance au plaisir même. Dès qu’il s’estompe, le corps signale que nous avons assez mangé.

 
-Votre définition de la satiété me plait beaucoup, Chloé !

 
-Tenez Bella. Quand je découvre un nouveau plat, la première bouché est souvent la plus extraordinaire. La sensation est si intense qu’elle me rappelle le bonheur de la découverte de mon enfance.

 
La deuxième bouché imprègne le plaisir dans ma mémoire. 

 
La troisième bouché honore ma gourmandise, mais la quatrième est de trop, à mon avis, car l’exceptionnel perd son charme quand il devient une habitude.

 
- Vous avez une approche bien particulière à la nourriture et au plaisir. On ne m’a jamais parlée comme ça.

 
La mienne est beaucoup plus théorique, inspirée par la lecture.

J’ai retenu que le plaisir est plus lié à la qualité et diversité des ingrédients qu’à leur quantité ; qu’il réside davantage dans la découverte que dans la répétition et qu’il a besoin du partage pour atteindre son apothéose. Être sur la même longueur d’onde avec une autre personne permet de se surpasser et intensifier son propre vécu en rajoutant une dimension en plus qui resterait toujours inaccessible sans l’autre.

 
-Passons alors à la pratique.

 
-En fait, je vous trouve bien cultivée Bella.

 
-Mettez cela sur le bénéfice d’une déformation professionnelle. Je suis bibliothécaire.

  
-Comment est née votre passion pour les livres ?

 
-Ceci est un chapitre délicat, voire douloureux. Étant petite je n’avais pas le droit de jouer avec des autres enfants. D’abord, mon père est très anxieux de nature. Il se méfie d’un rien et voit le danger partout.

 
Alors j’ai commencé par me créer mes propres histoires avec comme seules copines, mes poupées et peluches. Puis à l’école apprendre à lire m’a ouvert des nouveaux horizons. Le monde d’extérieur que je convoitais tant, devenait accessible par la bibliothèque scolaire.

 
Deuxièmement, ma mère n’est pas ce qu’on appelle une femme instruite. Elle commettait des énormités devant les autres gens à un point que j’éprouvais de la honte pour elle ou plutôt à sa place.

 
Troisième étape : mes parents, tous les deux, partaient du principe que les études soient coûteuses et n’amènent à rien

 
-Une vocation ?

 
-Oui. Je me souviens parfaitement de ce jour-là. J’avais huit ans. J’étais en vacances chez ma grand-mère. Le ciel s’était couvert de brume et tous ce qui semblait loin disparaissait et cessait d’exister. À ce moment la maison me paraissait comme un cocon douillet et chaud. Dans la pièce à vivre se trouvait une petite étagère avec des livres pour tout âge et chaque goût. Le mauvais temps persistait pendant les vacances entières, mais c’étaient mes plus belles. Je passais mes journées dans les livres et faisais découverte sur découverte.

 
-Votre histoire est émouvante Bella. Si j’ai bien compris, vous êtes partie de rien, car votre père ne voulait pas financer vos études et votre mère ne voyait pas d’utilité. Comment avez-vous fait dans un contexte aussi difficile ?

 
-Je me suis donnée des moyens : des sacrifices sur les vêtements, le maquillage, les sorties et ainsi de suite.

 
-Je vous trouve bien courageuse.

 
-Vous étés la première à le remarquer. Pour ma mère tous mes efforts étaient un dû et pour mon père tous qui amenait de l’argent ou au moins qui ne coûtait rien, lui paraissait valable. Tous qui coûte, nous dégoûte, disait-il toujours. J’ai dû me financer mes études seule, aidée par une petite bourse et beaucoup de travail en restauration ou ménages. Ceci ne m’a pas énormément changé de mes parents. Déjà gamine j’étais la bonne à tout faire.

 
Vous comprenez aisément que j’étais motivée par mes études dans lesquelles personnes ne croyait. Même pas le jour où je tenais ma maîtrise en main. Je me voyais au bout de mes rêves.

 
Ensuite je me suis trouvée confrontée à d’autres difficultés. Un diplôme est une chose, décrocher un travail une autre. J’ai dû renoncer à mes ambitions et retourner au village en faisant appel à la mairie. On m’a généreusement confié la tache de créer une bibliothèque municipale pour les curistes. Je ne me plains pas, mon métier me plaît et me réserve beaucoup de libertés et initiatives. Je n’ai pas de supérieur, à part le maire bien sur, et je peux organiser ma bibliothèque tel que je le désire. Ce côté créatif de mon activité me paraît essentiel. Je ne considère pas mon travail comme une corvée, mais comme un moyen de préserver mon indépendance.   

 
Malheureusement j’ai fait mes comptes en excluant ma famille. En habitant chez eux ils ne cessaient pas de me rappeler à quel point ils s’étaient privés pour mes études et combien je leur devais. La proximité tue les sentiments.

 
Le regard de Chloé est bienveillant. Il n’exprime pas la compassion, mais un réel intérêt pour moi. Enfin quelqu’un qui sait écouter, à qui me confier.

 
D’ailleurs je suis étonnée de moi. D’habitude je ne parle pas aussi facilement. Je découvre un nouveau cocon où il fait bon vivre : la présence de Chloé.

Elle est en train de réfléchir, puis elle pose une question évidente et inévitable :

 
-Toutes ces années d’études et de travail vous ont sûrement empêché de faire connaissance avec la psychologie masculine ?

 
-Vous visez juste Chloé, quelques petites histoires et, à vingt et deux ans, un mariage   - pour échapper à l’emprise de mes parents   - qui s’est brisé après un an par un divorce.

 
-C’est vous qui l’avait demandé, n’est-ce pas Bella ?

 
-Oui, mon mari m’avait trompé avec une autre femme. Il ne s’est même pas donné la délicatesse de me cacher cette affaire.

 
Ce n’était pas le plus mal. J’ai pu enfin intégrer mon indépendance. Quand il est parti j’ai gardé l’appartement, heureuse d’être débarrassée de mes parents et d’un mauvais mari à la fois et depuis c’est le silence. Je ne vie que pour ma bibliothèque.

 
-Heureusement vous n’avez pas perdu le sourire.

Mais entre nous, Bella, avez-vous décidé de rester éternellement une petite fille ?

Votre chemisier fait si sage et vous osez à peine le maquillage. Ça ne vous tenterait pas de commencer enfin votre vie de femme ?

 
-Comment devient-on une femme ? Je n’ai jamais été informé par ma mère sur les réalités de la féminité, ni de la sexualité non plus, vous vous en doutez.

 
Je me sens de plus en plus stupide devant de Chloé. Je réalise que je me suis transformée en meuble de bibliothèque pendant des années.

 
Chloé efface mon malaise.

 
-Puis-je vous proposer le « tu » Bella ?

  -Avec plaisir !

 
-On t’a dicté depuis ton enfance ce qu’il faut faire et ce qu’il ne faut pas faire. Tu n’as jamais pensé à toi et tu te caches derrière ton boulot. Sous ton allure de jeune fille sage dors une femme. Pour l’instant tu n’arrives pas à la décrire, parce qu'elle te fait peur. Tant que cette peur te hantera, tu seras loin de toi. Réveille enfin ta véritable personnalité.

 
-Tu ne pourrais pas m’aider Chloé ?

 
-J’ai déjà commencé, non ?

 
suite chapitre 2

Par isabelle183 - Publié dans : La fille aux cheveux noirs
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