Lundi 24 novembre 1 24 /11 /Nov 14:22

                                  MARCHÉ AUX ESCLAVES 1

 

  Après le plat principal, une serveuse nous porte la carte de desserts où une nouvelle surprise m’attend. Parmi des préparations assez sophistiquées avec de noms évocatrices, je tombe sur une petite annexe qui s’appelle « La carte des punitions », relevant des tarifs pour des attouchements divers, gifles, étirements de bouts de seins, de grandes lèvres, de testicules, coups de cravache, marche à quatre pattes et j’en passe. Amusée par ce divertissement hors du commun, je demande des plus amples renseignements à mon amie.

  -Tu as observé, ma petite Bella, combien de soumis et de soumises peuplent cette salle. Au moment du dessert, il s’agit d’un rituel que leurs maîtres et maîtresses les proposent au bon plaisir des autres. Moyennant finance fictive, une sorte de monnaie de Monopoly dont nous avons reçues quelques billets en entrant, tu peux laisser libre cours à ton imagination. N’as-tu pas envie d’essayer ?

  -Si je m’écoutais, et je suis décidée de le faire, je préférais me proposer moi-même en dessert. Cela me permettrait de satisfaire mon penchant pour l’exhibitionnisme en toute « impunité » et – ne rigole pas Chloé – de chiffrer mon pouvoir érotique sur les autres. Qu’avons-nous à perdre ?

  -Rien du tout Bella. Au contraire nous avons tout à y gagner. Les billets récoltés servent plus tard dans la soirée pour participer à la vente aux enchères d’esclaves. Plus que nous disposons de jetons, plus grand seront nos chances pour intervenir dans ce jeu. Je te propose donc de me rallier à toi pour quelques punitions supplémentaires. Ensembles nous serons imbattables pour nous constituer un joli magot de départ.

  Cette idée, avancée de bon cœur par mon amie, ne m’enchante pas tellement.

  J’avais envie de me mesurer aux autres pour mieux me situer dans un contexte où la rivalité est à l’ordre du jour et où chacun déploie des grands moyens. Je ne suis pas défaitiste et je pense à m’apprécier à ma juste valeur maintenant. Pendant tout le repas j’étais dévisagée et j’ai cru déceler un vif intérêt pour ma personne autant par les hommes que par les femmes. Néanmoins les motivations ne me semblent pas les mêmes. Pour les hommes je représente un bel objet qui fera la fierté de son heureux « propriétaire » et que l’on a envie de dompter et de punir pour son inaccessibilité. Les femmes en contrepartie se méfient de moi, me considèrent comme une dangereuse concurrente qui faudrait éloigner à tout prix de leur mâle. Faute de pouvoir réaliser ce rêve, je me prépare pour être la cible et le bouc émissaire de leur jalousie et j’attends de pied ferme des convocations pour les punitions de leur part.

  Ce mélange de sentiments à mon égard qui est le contraire de l’indifférence me met en bonne posture d’emporter haut la main cette épreuve.

 

  Mais il y a Chloé qui affiche des données encore plus troublantes que les miennes. Elle est un personnage public, une ancienne danseuse célèbre qui a fait perdre le sang froid à tout une génération d’hommes et qui, par ses poses tellement impudiques sur les tableaux de M, a réchauffé des chaumières entières un peu partout en France par le simple fait d’exister. Bon nombre de tableaux avec elles furent reproduites sous formes de posters à la fin des années soixante-dix et entrèrent en masse dans des foyers et surtout dans des chambres d’étudiants sous prétexte de l’art. Afficher une fille d’un magazine érotique était répudié dans ces années-là et la pornographie attendait encore son meilleur publicitaire, la vidéo. Dans ce contexte M exploitait un formidable créneau qui réconciliait l’air du temps, l’intellectualisme alors, les mœurs de la majorité silencieuse et le besoin d’un érotisme affichable sans honte sous prétexte d’être moderne et d’avoir du goût pour les beaux arts.

  Sans méchanceté je serais tenté de dire que Chloé a inspiré comme aucune autre la masturbation intellectuelle qui ne se distingue en rien de la masturbation commune si ne serait-ce par le choix d’un objet culturellement revalorisé.

  Par la multitude de sujets abordés sur les tableaux dont elle a posé, elle sort du cadre de fantasmagorie envers une star, en imposant un monde prêt à l’emploi où c’est elle qui livre des idées pour des mises en scène.

  Sans fausse modestie je m’estime assez sexy pour rivaliser avec beaucoup de femmes, mais je ne me sens pas capable d’éclipser un mythe bien connu de tous.

  Je fais part de mes inquiétudes à Chloé qui m’écoute attentivement, puis qui frappe par une réponse d’une sincérité déconcertante :

  -Je te répondrais d’abord sur un point de vu humain. Nous sommes venues ici toutes les deux pour s’amuser et j’y compte bien le faire. J’aime autant m’exhiber que toi. C’est plus fort que moi et je ne priverais pour rien au monde mon côté narcissique, même pas pour toi Bella. La rivalité entre femmes, fait partie de la vie, aussi entre amies si proches que nous. Il faut que tu t’habitues. Dans le plaisir chacun est son propre prochain. L’égoïsme est une arme nécessaire pour exister. S’effacer pour un autre, l’oblativité, est l’ennemie de la jouissance charnelle.

Pour imposer tes désirs dans ce monde ma chère Bella tu ne peux compter que sur toi. Si tu veux réussir socialement il faut que tu deviennes iconoclaste, il faut que tu apprennes à renverser des images établies par ta propre présence, que tu perdes tout respect pour ce qui soit saint et vénéré, sinon tu ne peux pas t’élever au rang d’une nouvelle déesse.

Quand j’ai commencé à me produire sur scène la concurrence était rude, des danseuses talentueuses, bien installées ne manquaient pas. Je ne me suis pas laisser intimider et j’ai su par ma ténacité les surpasser. Prend exemple sur moi, Bella. Tu disposes d’un potentiel qui en vaut la peine de tenter l’expérience. Tu te sous-estimes trop. Pour moi tu es une rivale plus que sérieuse, je dirais inquiétante, pour me détrôner. Tu es la seule par laquelle j’accepterais une défaite. N’aie pas peur de me blesser. Dans un sens j’aimerais tellement que ce soit toi qui me succèdes au palmarès des scandales. Es-tu prête ?

  -Je t’aime Chloé, comme être humain, pour tes conseils, pour ton attention à moi, pour ta tendance de me donner inlassablement des coups de pieds au cul. Si je réussissais un jour, ce sera grâce à toi. Pour aujourd’hui on formera une équipe soudée contre le reste du monde. Lançons-nous !

 

J’ai bien fait de relever ce défi. Je n’ai pas pris en compte l’inhibition des autres, même dans un endroit pareil. Des iconoclastes sont rares et je noté cette découverte en vue de ma future carrière. Pour aller au plus haut la concurrence devient clairsemée. C’est dans la médiocrité et surtout dans les bas fonds où la lutte est la plus acharnée et la plus impitoyable. Dès qu’on s’approche des sommets le manque d’air ne pardonne pas.

  Ce soir je prends pour mon compte et celui de Chloé. Je n’ai aucun mal à discerner les motivations à mon sujet parmi des convives qui me commandent en dessert.

  Peu nombreux sont ceux qui osent s’attaquer à Chloé et qui sont - connaissant mon amie - désormais dignes de son estime. Je m’aperçois du contre coup de la notoriété, du isolement des plus grands que l’on n’invite pas à se joindre aux jeux.

  Le patron du lieu, familier avec ce mécanisme, organise une collecte, pas par charité, mais pour un coup de pub bien réfléchie en offrant un dessert Chloé, inoubliable pour sa clientèle. Il ose pour la majorité silencieuse et lui offre ce dont elle rêve.

  Pendant que je me produis à quatre pattes sur les tables en prenant des coups de martinet ou de cravache gentillets pour me punir, Chloé doit effectuer sur le comptoir un strip-tease, suivi d’une danse érotique qui absorbe le public.

  Plus qu’elle excite par la lascivité de ses mouvements, plus le dessert Bella se commande. Quand Chloé provoqué par des acrobaties extrêmes, les claques sur mes fesses se durcissent. J’ai une bonne condition physique et mon postérieur résiste courageusement aux chocs. Je suis dans un état second qui ne relève plus de l’excitation sexuelle, mais de l’ambition de concurrencer Chloé. Pas question que j’abandonne. J’accepte toutes les propositions. Dans les miroirs j’observe une jeune femme, moi, promenée en laisse avec le derrière en l’air. La peau de mes fesses est aussi rouge que le corset de Chloé et striée par les innombrables impactes de cravache.

  Étrangement je ne me sens à aucun instant humiliée par ce qui m’arrive. Je sais que certains utilisent mon corps pour le substituer à celui de Chloé. Mais je découvre aussi comment j’arrive à détourner leur attention du comptoir et de la fixer sur moi. Par ma soumission je soumet l’attention des autres, la concentre sur moi en les transformant en esclaves idolateurs devant mon image. Je saisie parfaitement que dans l’absence de Chloé rien ne m’empêcherais de capter toutes les intérêts. Il me tarde d’appliquer ce nouveau savoir dans ma vie sociale.

  La chance est ce que l’angoisse en moi tient pour impossible, a postulé Georges Bataille. J’ai dû dépasser ce stade d’esprit, car je vois un petit chemin qui mène à la réalisation de l’impossible pour ceux qui se défont de l’angoisse de l’inconnue et qui puisent leur excitation en bravant ce qui fait peur aux autres.

  La chance n’a plus de secrets pour moi et je forcerai ses portes avec impertinence dès lundi.

  Le repas se termine petit à petit. Je tiens bon et la monnaie d’échange s’épuise. Le spectacle est fini.

 

Un homme d’une allure particulièrement avenante qui est resté en observateur, replié dans un coin de la salle, m’aborde :

  -Je vous trouve remarquable Mademoiselle Bella, surtout en ce qui concerne votre corps. Vous avez un physique qui sort de l’ordinaire et qui mérite attention.

Je suis photographe et à la recherche de nouveaux modèles. J’aimerais vous laisser ma carte. Réfléchissez la tête reposée si cela vous intéresse et téléphonez-moi le cas échéant. Je vous souhaite encore une joyeuse soirée.

  Il n’est pas lourd dans son approche et parfaitement poli. Il n’essaye nullement de s’imposer où profiter de son statut (s’il dit la vérité et j’ai tendance à lui croire). Je lui trouve un certain professionnalisme qui évité de m’accaparer de suite et de me détourner de l’ambiance de fête. Il sait faire la différence entre amusement et travail. J’ai la sérieuse conviction que sa proposition tienne la route. Je verrais cela la semaine prochaine.

  Je range sa carte dans mon décolleté sans avoir le temps de la contempler. Chloé est de retour et me félicite pour ma performance. En comptabilisant nos jetons je m’aperçois que je dépasse Chloé de loin. C’est un peu comme à la bourse. Ce sont petits porteurs qui apportent le plus, mais quelques élues qui raflent bénéfice et gloire.

  Mon derrière est en feu, mais je ne regrette pas mon expérience. Pour mieux comprendre la vie et les êtres humains il faut accepter de payer de sa personne. Je dormirais cette nuit sur mon ventre, consolée par mes entrevues qui m’ont enseignées le « comment », si précieux pour se réaliser devant les autres.

  Je mériterais bien une récompense pour mes efforts !

  -Tu mériterais bien une récompense pour tes efforts, Bella.

C’est Chloé qui ne perd jamais le nord.

  -Mission accomplie ma chérie. On a raflé la mise. Après le café commence le marché aux esclaves et nous sommes en posture d’appréhender cet événement en toute sérénité. Il me tarde de découvrir la marchandise.

  Ce terme de marchandise dans la bouche de mon amie ne me choque nullement. Nous nous trouvons dans un univers parallèle de la vie sociale avec sa propre norme de morale et moralité. Ici le sens commun obéit à d’autres règles, tel que le consentement à l’escalade dans la perversité. Je suis tellement bien ici, entouré par des âmes sœurs.

  Le SM et le fétichisme structurent le temps autrement que la vie quotidienne. Devant une punition des secondes se transforment en éternité et pendant la cérémonie toute pensée s’estompe. Je ne suis que corps, capable d’éprouver des sensations intenses. Une séance de SM n’est jamais un déroulement temporaire, elle n’est que l’instant, l’angoisse d’un perpétuel imprévu, l’effacement de toute certitude, reflet exact de la vie tel que l’on n’aime pas la voir.

 

suite

Par isabelle183 - Publié dans : La fille aux cheveux noirs - Communauté : Ecritures Sensuelles
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