Samedi 13 décembre 6 13 /12 /Déc 14:26

LA BIBLIOTHÈCAIRE LA PLUS SEXY DE FRANCE 2

 

 

  J’ai décidé de m’ouvrir au monde sans tarder.

  Je dispose de deux façons pour m’exprimer : une qui dévoile mes véritables sentiments, l’autre que je juge adapté aux circonstances. Ici, j’aimerais rejeter le discours complaisant au profit d’un discours sincère, quitte à passer pour une arriviste (que je suis). J’adore m’exhiber par un strip-tease verbal qui va au fond de mon être. Je me sens enfin assez forte.

  J’ai longtemps refusé ma féminité pour ne pas intégrer un rôle tel que l’on attend toujours d’une femme, cette soumission sociale à la dictature des hommes que je déteste tant (les hommes ou la soumission, ou les deux ?). 

  Je ne veux pas me voiler la face. Les hommes se battent avec des armes d’hommes et tout le monde trouve cela normal. Je suis femme, alors pour quoi je ne me battrais pas avec des armes de femme ? Simplement parce qu’il y a des hommes et des femmes (stupides, corrompues, inconscientes etc.) qui proclamant que cela serait la concurrence déloyale. Avec quel droit ? Du plus fort, de la majorité ?

  Chloé a raison. Pour réussir il faut être iconoclaste devant des êtres vivants et des idoles d’une double morale.

  Maintenant j’y compte bien de me servir de mon savoir à des fins personnelles. À quoi me sert-il d’être irréprochable dans un monde corrompu ? Mon malheur avait commencé en refusant de me montrer en femme indépendante devant mes parents de peur de perdre leur amour. Mais je ne suis pas à la recherche de l’amour, je cherche la reconnaissance, la gloire. C’est bien différent.

  Depuis que je fréquente Chloé je n’ai cessé d’intégrer des nouvelles données dans ma personnalité. Cette ouverture d’esprit me permet une combativité étonnante, car je ne vise pas une finalité mais une évolution permanente. Je comprends mieux enfin les étapes nécessaires à ce développement.

   D’abord je me suis cachée ma lâcheté sociale, mon masochisme social alors, derrière l’excuse d’une frustration sexuelle qui me pesait si lourd que je n’étais plus capable de distinguer mes vraies valeurs derrière mes envahissantes pulsions charnelles.

  J’ai commencé par me débrider en croyant de me révolter ainsi contre les erreurs éducatives de mes parents. Encore un prétexte, celui de l’adolescence ratée.

  Je voulais être sexy pour choquer dans un premier temps, ensuite pour ne plus passer inaperçue devant les autres, puis pour provoquer en eux un tel désir envers moi qui m’assurerais une position de force. Mais je ne suis ni une midinette, ni une pétasse de province qui voudrais se servir de son cul pour arriver en haut de l’échelle. Je n’envisage nullement de coucher pour réussir. Je peux compter sur mes facultés mentales et une solide expérience, grâce à Chloé, pour maîtriser le sous-entendu et le non-dit. La force la plus efficace et dévastatrice est la suggestion. J’ai toujours eu l’ambition de bien faire en tout ce que je touche, dans mes études, dans mes aventures sexuelles et maintenant dans la stratégie de la vie. J’ai pu établir un merveilleux équilibre entre mon corps et mon esprit qui me servira désormais à ne pas me décourager sur un chemin extrêmement difficile.

  Plus rien ne me gêne en moi, même mes mauvaises odeurs corporelles ne me dérangent plus, car eux aussi font partie de tous les êtres humains et je les assume aussi bien que mes pensées et fantasmes les plus osés.

  Ce week-end m’a permise de vivre l’aspect actif et agressif de ma sexualité. Cette semaine je transposerais cet acquis au niveau de ma personnalité. Je serai active et agressive comme il le faudra.

 

  Il est onze heures et demie. Seul en sale je ferme prématurément, car j’ai un rendez-vous important avec la vie. Je compose sur mon portable le numéro que le photographe m’a laissé samedi soir. Sa carte est très modeste et n’indique que son nom au dessus des chiffres. Il m’a appelée Bella, alors j’utiliserais son prénom. Je suis curieuse si je vais tomber sur un répondeur. Dans le métier de la photographie c’est excusable. Je suis mauvaise langue, contre toute attente il est disponible.

  -Bonjour Joël, c’est Bella. Vous vous souvenez de moi ?

  -Rappelez-moi le contexte s’il vous plaît.

  - Vous êtes un farceur Joël, vous me faites marcher.

  -Parfaitement. Tu es fine psychologue Bella. Bien sur que je me souvienne de la splendide soumise de ce week -end !

  -Comme tu dis, de ce week-end. Aujourd’hui on est en semaine. Alors pas d’allusions.

  -Ça marche. Soyons professionnel. Je vais être franc. Ce qui m’a intrigué en toi, mis à part ton plastique parfait et tes allures si décalés à la norme féminine, c’est ta présence. Tu effaces ton entourage d’un coup d’éponge magique. Eclipser une légende vivante, comme Chloé M est un exploit qui mérite attention. J’ai déjà discuté de toi avec mon rédacteur en chef. À son avis tu ne corresponds pas du tout par ton look de provocatrice à notre style de journal. Mais je me suis battu pour toi. Il serait prêt de nous donner une chance.

  Le journal dont Joël parle si négligemment est un grand magazine pour hommes.

  Malgré une proposition aussi mirobolante je ne me laisse pas impressionner,

J’affiche mes conditions.

  -J’aimerais poser en « Fille aux cheveux noirs », version deux mille six, dans des tenues conçues par M, devant les monuments historiques et naturels de mes montagnes.

  -Je trouve ton idée absolument séduisante Bella. Mais il y a trois hics. D’abord il nous faudrait l’autorisation de Chloé. Vu que tu es intime avec elle, cela me parait jouable. Par contre, concernant les tenues employées par M, il ne faut pas rêver. Il est bien connu que cet homme dépensait des sommes colossaux pour ses mises en scène qui relevaient d’une véritable passion et qui dépassent le budget prévu par journal comme le nôtre.

Troisièmement la « Fille au cheveux noirs » est connue pour la longueur de sa crinière. Comment concilier ce détail ?

  -En comptant simplement sur les incohérences qui sommeillent au fond de vos lecteurs qui rêvent, en achetant votre journal de maîtriser ou au moins récupérer la beauté féminine. N’oubli pas non plus que tu n’es pas dans leur tête pour considérer l’échantillon complet de leurs fantasmes. Combien parmi eux se languissent devant une créature de rêve comme la « Fille » de la transformer en objet contrôlé par eux, de la mettre en esclavage parce qu’elle est si belle.

Je te propose donc de commencer la série de nos photos par une vue de moi avec une perruque très longue suivi de quelques prises en salon de coiffure. Tu vois où je veux en venir ?

  -Tu es redoutable Bella. Ce n’est pas un discours à tenir publiquement, mais mon rédacteur en chef n’emplois que le langage du nombre de tirage et je pense que je peux le convaincre par tes arguments. Autre chose ?

  -Oui. Je voudrais que vous me mettiez en scène sous la dénomination de « La bibliothécaire la plus sexy de France ». Avec mes cheveux courts je remplie parfaitement le cliché d’une intellectuelle tel que la plupart de hommes l’imaginent. Par les avantages de mon corps, apparemment et volontairement sculpté pour « un usage érotique », je mettrai en route la projection privée du cinéma fantasmagorique comme il le faudra. Réconcilier les hommes avec les femmes de tête par le biais d’une suggestion provocatrice me parait un excellent moyen pour augmenter les ventes. En plus, vous inciteriez bons nombres de femmes, choquées par mon attitude, d’acheter votre journal pour vérifier jusqu’à quel point certaines sont prêtes à pousser le culte du corps pour exciter.

  -Tu ne manques pas d’audace Bella. Je suis photographe depuis plus de vingt ans. Je n’ai jamais rencontré une femme qui ose me parler ainsi. Cela s’accorde parfaitement avec l’aperçu que j’ai eu de toi. Et si mon rédacteur refusait ?

  -Il ne refusera pas, si tu lui dis que je m’occuperai de lui procurer en plus des costumes originaux de M, l’avant première d’un tableau inédit de la fameuse série avec Chloé.

  -En effet, tu possèdes des cartes incontournables.

Je me suis laissée aller loin. Maintenant tout dépend de Chloé. Va-t-elle accepter ce que j’ai proposé en son nom, sans lui demander son accord préalable ? Je suis inquiète.

La réaction de Chloé me rassure. Elle est enchantée par mon initiative.

  -Pourquoi refuserais-je mon accord Bella. Tu es en train de réaliser un coup de pub spectaculaire pour promouvoir l’œuvre de mon mari. En accordant les droits de photographie sur un inédit tu me met aussi, à nouveau, au premier plan de la scène artistique. Tu vois, la rivalité entre nous est profitable pour les deux côtés. Tu as raté ta vocation ma chérie. Tu aurais dû te spécialiser dans les « public relations ». En plus, ton photographe a raison. Tu dénotes tellement de la norme d’esthétisme, imposé par les hommes, à nous les femmes. Tu démarques par tes allures et ton image se grave facilement dans la mémoire de n’importe qui. De quoi débuter une belle carrière. J’étais sérieuse l’autre soir quand je t’ai dis que je n’accepterais être détrônée que par toi. Il me tarde de te voir en nouvelle « Fille aux cheveux noirs », version deux mille six. Compte sur moi. Je t’aiderais avec tous mes moyens disponibles pour réussir ton pari.

  Six semaines plus tard je fais couverture du mois d’août. Les éditions de vacance sont particulièrement remarquées. Cette année-là, il s’agit d’une double innovation. Je suis la première punkette à poser sur ses pages sacrés et en plus j’ai échappé aux commentaires bêtasses qui accompagnent souvent ce genre de publications. Encore grâce à Chloé. Elle a imposé que l’article sur son mari soit écrit par moi, signé de mon nom, bien mis en évidence pour que tout le monde comprenne bien le lien entre mes photos dénudées et ma passion pour M. J’ai peux me faire un nom dans deux domaines à la fois. Ma carrière ne tarde pas à exploser. Comble de chance, un autre événement se rajoute pour une publicité inespérée. La mairie de mon village, outrée de découvrir sa bibliothécaire dans son costume de naissance, me fait parvenir ma mise à pieds quelques jours plus tard. Je ne me laisse pas faire et j’entame une procédure pour licenciement abusif.

  Mon image passe dans les quotidiens locaux et nationaux.

« La bibliothécaire la plus sexy de France s’en va-t-en guerre contre la marie de son village »

  Ma popularité veut que ce procès soit suivi comme un feuilleton. Mon combat pour une séparation entre vie privé et vie professionnelle des femmes m’apporte du soutien de partout. D’autres femmes se rallient à ma cause.

  Mon dieu de stade, en habile homme d’affaire, me décroche un contrat exclusif de pub pour un nouveau parfum et une ligne de sous-vêtements.

  Un an plus tard, je publie un premier livre sur la vie du couple M - Chloé avec la participation de mon amie. L’accent se porte sur le rôle actif et indispensable de la femme-muse dans ses relations avec son artiste. J’essaye de briser l’image de Chloé comme potiche décorative en défendant la thèse que l’art émouvant de son mari soit dû à une symbiose bénéfique et peu commune entre une féminité sublimée chez un homme créateur et le proliférant influence masculin de sa muse.

Toujours au centre de l’action je n’ai pas le temps de regretter la perte de mon emploi de bibliothécaire et je savoure mon déménagement à Paris, bien mérité, comme une délivrance d’une jeunesse ratée.

 

suite

Par isabelle183 - Publié dans : La fille aux cheveux noirs - Communauté : Ecritures Sensuelles
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