Mercredi 24 décembre 3 24 /12 /Déc 16:14

PARIS EST UNE BRUNE 2

 

Et voilà, nous y sommes : L’amour est un sentiment qui né de la contingence et du hasard. Etre à Paris relève du contingent, car je me suis donnée les moyens pour créer ma vie. Commencée par la peinture et la découverte de l’œuvre de M et de la sublime Chloé.

Le hasard habite de l’autre côté de mon couloir. Il s’appelle Jean, prof de science à la fac et philosophe dans ces heures perdues ; avec un look d’enfer de savant fou. Divorcé depuis des années, la mi-quarantaine, il me rappelle parfois le professeur Unrat (ordures, immondices en allemand) du célèbre film de Sternberg : L’ange bleu. Je trouve que Heinrich Mann a été un peu dur en appellant son professeur d’un tel nom. Jean est particulièrement distrait, je dirais même tête en l’air et il a su garder une coiffure qui doit dater avant ma naissance. Ses vêtements trahissent soit une recherche élaborée dans le démodé, soit une méconnaissance totale des goûts actuels. Je n’ai pas encore percé ce secret.  

  Il se nourrit uniquement du surgelée comme je constate à chaque fois quand je le croise au supermarché du coin. Il est très poli avec moi, sa voisine, et terriblement timide. Il me connaît autant en Bella, qu’on « fille aux cheveux noirs », mais ne se doute sûrement pas de mon passé. Je le vois mal à acheter des revues de charme ou lire des journaux. Il est un peu perturbé par le fait de me rencontrer tantôt en femme d’affaire avec un tailleur strict et hauts talons, tantôt en rêveuse romantiques quand j’ai envie de flâner avec une chevelure à mi-dos, des jupes amples et des couleurs pastels. Tantôt en punkette hyper branchée ; ou devrais-je dire « gothique » maintenant car j’ai monté l’échelle sociale et j’ai pris de l’âge pour ne plus éprouver autant de besoin de choquer les braves gens. Je suis restée fidèle à mon goût. C’est vraiment le mien, ce qui est rare de nos jours.

  Physiquement Jean me plaît beaucoup. Je n’ai pas envie de m’amuser avec lui comme avec tant d’autres.

  -Sois sage pour une fois Bella, pense-je. Serais-tu capable de t’engager dans une relation avec cet homme sans l’effrayer dès le départ par tes vilains fantasmes ? Oui, je suis une vilaine qu’aucun homme n’arrive à dompter, même si je les pousse parfois à me déculotter et me fesser vigoureusement pour mon bon plaisir.

  J’ai envie de découvrir Jean en douceur, surtout le contenu de sa tête. Je suis étonnée de moi. Aurais-je pris un coup de vieux ? Pendant trop longtemps je n’ai plus considéré les hommes sommes des individus qui s’expriment par leurs pensées, mais comme des objets, de la chair, qui servent à satisfaire mes pulsions sexuelles. Dans un sens, je ne vaux pas mieux que les machos.

  Comment faire pour entrer en contact avec un homme qui nous intéresse comme être humain d’abord et en partenaire sexuel en deuxième plan ? Compter sur l’hasard qui fait bien les choses ? Se montrer active en matière de contingent et forcer la main du destin ? Je suis mitigée. Mais comme d’habitude, les deux confrères unis, une chance s’offre à moi. (En considérant les détails qui vont suivre, on comprend aisément qu’ils s’agit encore - plus ou moins volontairement - une de mes habituelles mises en scène.)

  Devant ma porte d’entrée, en cherchant mes clefs, mon collier de perles se coince dans la fermeture éclair de mon sac et se déchire. Qu’une seule tombe sur l’épaisse moquette. Les fabricants de bijoux savent par mille astuces remédier à l’imprévue dans la vie des femmes. Ce sont des vraies perles, un précieux cadeau que Chloé m’a amenée d’un voyage.

 

 Me voici donc, à quatre pattes, en train de les ramasser. J’ai oublié de mentionner que je suis myope. Coquetterie qui se dévoile presque à la fin de mon récit. Cela prouve, même en étalant ses états d’âmes les plus intimes, qu’il y a toujours la tentation de cacher un peu. Ceci n’est pas dû au mystère de la femme, mais simplement au fait que le progrès technique permet facilement d’oublier ce genre de détail, car je porte en général des lentilles jetables. Ce matin je n’en avais plus et je suis allée en acheter. Je n’ai pas mis mes lunettes, ce qui explique ma mésaventure avec mon collier.

   J’ai l’impression d’apercevoir des pieds et je lève mes yeux. Dans un flou je distingue la silhouette d’un homme, Jean, qui vient de sortir de son appartement.

 

 Il n’est pas gêné du tout, plutôt amusé et bien hardi.

  -Vous portez des jolis sous-vêtements Mademoiselle Bella !

  Je marque un temps d’arrêt, puis j’y suis. Cela dois faire un petit instant qu’il m’observe. Ma jupe n’est pas trop courte, mais ample (C’est Bella la punkette, pardon la gothique qui est sortie pour ses courses) et elle a dû, en bougeant, découvrir le haut de mes bas et mes jarretelles. J’ai pris tellement l’habitude de ce genre de vêtement qu’ils sont devenus comme une deuxième peau.

Jean me tend la main pour m’aider à me relever.

  -Excusez-moi, mais je suis un nostalgique des bas. C’est plus fort que moi et je n’ai pas pu m’empêcher de vous regarder. J’espère que vous m’en veuillez pas.

   Plutôt amusée par cette confidence je fouille dans mon sac pour chercher mes lunettes. Je me trouve à très peu de distance du visage de Jean.

  -J’ai toujours eu un faible pour les femmes qui devraient porter des lunettes et qui les cachent par coquetterie, m’avoue-t-il.

  -Je vous trouve bien entreprenant aujourd’hui, Jean. D’habitude vous êtes si timide.

  -Tout le monde ne se réjoui pas du privilège de partager son couloir avec la bibliothécaire la plus sexy de France. Forcement on ne sait pas comment se comporter pour éviter des malentendus. L’envie de mieux vous connaître ne me manque pas. J’ai adoré vos séries de photos érotiques et je vous avoue qu’ils m’ont faites rêver comme tant d’autres.

  -Ceci était mon but, de faire rêver les hommes. Je ne peux donc rien vous reprocher.

  -J’ai suivi aussi, avec grand intérêt, votre procès contre la mairie de votre village. Je suis admiratif de femmes comme vous qui font bouger les choses vers une séparation claire et nette entre vie privée et vie professionnelle. J’aime aussi vos livres sur le couple M - Chloé.

Pourquoi j’ose vous parler ainsi ? Disons que la jolie vue m’a désinhibé. Voir une femme ainsi vêtue me rassure en quelque sorte. 

  -Je remercie mes porte-jarretelles et j’apprécie votre franchise. J’ai horreur de l’hypocrisie.

Puis je vous inviter à prendre un apéritif chez moi, Jean ?

  -Je refuse. Ceci ne me réussi pas.

  Je regarde Jean avec des grands yeux, dont l’expression doit être troublante et troublé derrière les épais verres de mes lunettes. Un air de déception doit illuminer mon visage.

  Jean me lance un petit sourire.

  -Je parle de l’alcool, Bella. Pour le reste je veux bien.

  -Alors suivez-moi.

 

  Ma porte d’entrée amène dans un petit couloir au bout duquel se trouve une deuxième porte très épaisse et blindée, à code digital et serrure. Jean est discret et se retourne.

  -Vous vivez dans une véritable forteresse Bella.

Je ne réponds pas et laisse parler le lieu. Dans le hall Jean découvre deux tableaux de M. Visiblement il est calé en matière d’art.

  -Ce sont des tableaux datant du début des années quatre-vingt, de la période où M. a récréé la mythologie grecque, incorporée par des beautés émouvantes en vêtement de cuir de coloris flashants. Parfois je me demande si ces tenues existaient vraiment. Je n’ai jamais vu des corsets dans des couleurs pareilles.

  -Elles existent, soyez en sur. C’étaient des créations exclusives pour M. Il préparait toujours ces tableaux dans les moindres détails avant de les commencer. La démesuré qu’il montrait, correspondait à une réalité palpable.

  Jean aime les jus de fruit, il en raffole. Cela aussi, je le sais par ses courses.

  On s’installe au salon. Il me regarde attentivement et réfléchit. J’aime les hommes qui essayent d’éviter les platitudes.

  -Je me suis toujours posé la question quel sujet aborder avec une femme fascinante comme vous,  Bella ? Vous avec tellement de cordes à votre arc.

  -Je ne suis pas un scientifique comme vous. À vrai dire je ne connais pas grande chose à ce sujet. Mais je peux vous certifier que je m’intéresse à tout, si c’est bien présenté. 

  -Vous m’intriguez de plus en plus. Néanmoins j’aimerais vous épargner un discours sur la science. Je n’ai pas accepté votre invitation pour vous donner des cours, mais pour un échange entre deux esprits qui se découvrent. Pourrait-on trouver un terrain d’entente ? Qu’en pensez-vous de la philo ? J’étais fasciné dans vos ouvrages par la multitude de citations.

  -Pour cause. La profondeur de l’être humain est une de mes grandes passions et j’adore écouter les grands penseurs. En faites-vous partie Jean ?

  -Eh bien à vous de juger. En ce moment je suis en train d’étudier l’existentialisme. Je crois que j’ai fini par comprendre un peu de Kierkegaard et Sartre et je m’estime assez fort maintenant pour m’attaquer à Heidegger. C’est laborieux et j’avance à tout petit pas. Mais quelle récompense pour mes efforts. Certaines de ses idées me montent à la tête comme de la drogue.

  -Je conçois mieux maintenant Jean, pourquoi vous évitez l’alcool. Vous n’en avez pas besoin, tout simplement. Moi aussi je suis familière avec ce sentiment que procure la compréhension. Un vrai orgasme mental.

  (Bella tais toi. Reste calme, détend toi. Tu vas l’effrayer. C’est un homme spirituel. Il ne vit que pour le savoir.

  Mon œil ! S’il a acheté des revues de charme où j’ai posé, il doit être porté sur la chose, sauf bien sur, s’il se contente des articles comme prétendent pas mal d’hommes. Après tout je n’ai pas posé que pour ce journal à grand tirage. C’était un peu trop sage à mon goût. Je me voyais mal à incarner une ingénue avec juste la pointe de perversité sous-entendu qui faut pour la rendre « mariable » ; une future bonne épouse et tendre mère des enfants d’un homme extrêmement important. Je n’avais pas besoin d’un mari pour me revaloriser et pour acquérir un statut dans cette société. Alors je pouvais me permettre de poser aussi à la manière qui me reflète le mieux. Les femmes aussi ont droit à des idées cochonnes. Elles ne se masturbent pas toutes en fantasmant sur le portefeuille d’un futur mari.

  Comme j’ai dit dans un interview, moi aussi, en étant femme je revendique le droit à ma perversité. Ça choqué énormément, ça m’a value ma mise à pied et surtout ça m’a rapporté une flopé de demandes en mariage et j’ai rarement ri autant dans ma vie qu’en lisant ces lettres qui tournent souvent autour du pot sans oser de me dire que j’excite par mes apparences et mes discours coquins.

  Pour aimer il faut un peu plus qu’une photo sur papier glacé et des paroles libertines. Je ne crois pas au coup de foudre. Pour moi c’est une façon détournée de justifier une envie subite.

  Chloé se manifeste en moi, l’envie de montrer mon désir, l’envie d’être acceptée pour ce que je suis. Ca passe ou ça casse. J’ai horreur de me cacher derrière une médiocrité ennuyeuse. Je ne suis pas une femme soumise dans le vrai sens du terme. Je suis entreprenante, active, créatrice de ma vie. On m’aime ou on me déteste.

  Je ne peux, je ne veux me retenir. Je me lâche sans retenue comme Chloé m’a apprise.)

  -Je dois vous avouer Jean que mon rapport avec le savoir est assez singulier, je dirais charnel.

  Il me comprend de suite en me coupant dans mon élan.

  -Vous voulez dire Bella que le fait d’étudier vous excite sexuellement. Après avoir compris une réflexion ou pensée très complexe, votre cerveau satisfait, demande un petit repos et votre corps réclame son dû. Il m’arrive parfois de me masturber entre deux paragraphes. J’ai besoin de cette détente pour reposer mon cerveau. Il est trop épuisant de rester sur un sommet intellectuel pendant trop longtemps. La pause me permet de récupérer et de recommencer de plus belle.

  -J’adore les hommes cultivés. Ils me comblent doublement. Certains parmi eux font aussi bien l’amour à ma tête qu’à mon corps. Ferriez-vous partie de ceux-là ?

 

suite

 

 


Par isabelle183 - Publié dans : La fille aux cheveux noirs - Communauté : Ecritures Sensuelles
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