Dimanche 12 octobre 7 12 /10 /Oct 09:34

                                    L’érotisme des corsets 1

 

  Chaque fois quand j’arrive chez Chloé à Banyuls, le monde qui m’entoure pendant la semaine s’arrête d’exister.  

  Mon passé s’efface, mes angoisses existentialistes de bibliothécaire d’une petite ville s’envolent. Je deviens un autre personnage, une jeune femme sans souvenirs douloureux, sans souvenirs de mon ancienne vie tout court.

  Je ne suis que Bella, jeune femme séduisante, amante de Chloé. Ensemble nous nous créons des distractions, chaque fois renouvelées. Notre complicité s’approfondie de plus en plus. Nous n’avons pas des secrets l’une envers l’autre. Nous abordons tous les sujets. J’apprends beaucoup sur les hommes à travers des récits de Chloé. Elle me permet de pénétrer par une large porte dans l’univers masculin. Les hommes me deviennent compréhensibles, prévisibles et me paraissent, pour la majeure partie entre eux, facilement manipulables par des belles apparences féminines.

  La petite révolutionnaire, qui existe en chaque femme dégoûtée par la dictature de certains hommes (avec la complicité de la légion des femmes consentantes), rêve, au moins une fois dans sa vie, d’une communauté mâle entièrement prévisible, sans comportement surprise. Je serais tentée de considérer ce phénomène comme une forme de défoulement salutaire pour consoler les frustrées comme moi avec la réalité. J’ai toujours rêvé de dominer l’espèce masculine uniquement par la beauté de mon corps. Cela me semble évident dans mon cas, car sur un niveau intellectuel je sais me faire remarquer. D’ailleurs j’évoque souvent la méfiance par mes connaissances. Cela ne m’attire pas la sympathie et en aucun cas le désir, mais je refuse de me cacher sous une niaiserie bête, tant apprécié par certains mâles.

  Mon évolution personnelle, déclenchée par Chloé, me permet de percevoir maintenant au-dessus de la domination sexuelle un pallier encore plus excitant jusqu’alors cachée, celui de l’improvisation devant n’importe quelle situation de la vie courante. Mentalement je suis presque prête à faire face. Il me manque encore l’expérience et l’habitude, mais je sais qu’avec Chloé je brûlerai les étapes et qu’elle me proposera des exercices efficaces pour m’entraîner.

  J’aime aussi énormément quand elle parle de son mari. Pour moi c’est la porte de service par laquelle s’ouvre l’accès sur la vie intime des grands artistes qu’aucun livre ne relate. Je ne me suis jamais passionnée pour les biographies, mais j’en ai lu quand même. En fait, elles sont souvent trop superficielles. Avec Chloé ce sont des informations de première main. J’avais souvent rêvé de rencontrer un artiste. J’ai imaginé plein de choses. Certaines, comme la vie dans le luxe, se révèlent vrais, d’autres clichés sont des purs produits de mon romantisme invétéré. Chloé me met en garde.

  -Grâce à M. j’ai pu approcher la plupart des artistes de notre époque. Quelle déception. Très peu entre eux sont comestibles. Le reste est un ramassis de mégalomanes, imbu de leur personnage et de leur succès. L’atmosphère devient irrespirable dans leur présence. M. lui, était différent, il dénotait complètement de ses collègues. Il fuyait la notoriété là où il pouvait. Il avait horreur d’être reconnu dans la rue. Il évitait des interviews pour les journaux et la télé. 

Il ne parlait à personne de son travail, même pas à moi. Par contre il me disait souvent : Chloé, tu viens de m’inspirer un nouveau tableau. Dans ces instants-là, il se plongeait dans les profondeurs de son esprit. Ses yeux se vidaient, il se détachait de son environ et n’entendait plus ma voix. Il ne réagissait même pas quand j’essayais, au début de notre vie commune, de le secouer doucement. Il restait parfaitement immobile, pendant des heures parfois.

Une fois quand je l’ai vu encore dans cet état, j’avais vraiment peur. Heureusement ce jour nous avions le sculpteur H. en visite qui aimai t M. comme un fils.

H. a vu mon désespoir et ma peur. Il m’a mis sa main sur mon épaule et m’a expliquée :

Ne t’inquiète pas pour M. Au premier coup d’œil on pourrait supposer qu’il soit malade d’une forme de folie absolument inoffensive pour les autres. Mais M. maîtrise parfaitement ce qu’on appelle la réalité, à chaque pas il sait ce qu’il fait. Il est toujours cohérent et nous n’avons aucun mal pour suivre son discours.

En ce moment, malgré des apparences, il nous voit et nous entend. Par contre la perception de cette pièce n’est plus la même pour lui que pour nous. Il est parti volontairement pour rejoindre son univers onirique où il puise sa force et où il peaufine ses inspirations. Imagine Chloé, de superposer à ce que tu perçois un de ses tableaux avec des personnages qu’il inclut. Or, ces personnages ne sont pas immobiles comme sur une toile. Ils ont leur propre vie, ils bougent, ils parlent, ils agissent comme des véritables êtres humains. On les observant M. s’imprègne de leurs secrets intimes et arrive par ce moyen de les restituer plus tard sur toile plus vrai que nature. Il capte l’insondable profondeur de l’existence, l’authenticité de ce qui possède une conscience et nous fait partager à travers de ses œuvres la singularité de ses modèles. Ce ne sont pas des pantins qu’il met habilement en scène, ce sont des êtres vivants, éternisés à un moment précis de leur existence avec leurs soucis et joies devant cette absurdité qui constitue la vie.

Je suis artiste moi-même, mais je suis aussi impressionné que toi devant cette concentration suprême. Pour ton mari, nous et ses personnages, nous formons le même monde.

  -Alors, pourquoi il reste immobile et ne parle pas à ses modèles inexistants, comme ont l’habitude certains malades ?

  -C’est ici que les choses se compliquent. M. a conscience qu’il s’est glissé dans un monde parallèle et il est capable de faire la différence entre ce qui est réel et ce qui est sa partie imaginative ou délirante, si tu préfères.

Il domine ses perceptions et détourne volontairement les symptômes à des buts artistiques. Si tu veux qu’il revienne, parle lui Chloé. Il faut lui donner envie de quitter ses rêves éveillés. Il n’y a que toi qui puisses réaliser ce miracle. Tu es le seul être en dehors de sa peinture auquel il tient.

J’ai pris la main de mon mari et je lui ai parlé calmement. Je lui expliquais que j’étais Chloé, sa femme, sa petite danseuse et son modèle préféré. Que je n’étais pas un rêve, mais réellement existante. Que nous étions à Banyuls dans notre salon, un dimanche au mois de juillet.

Je lui ai parlé de n’importe quoi, aussi que je l’aimais, que je tienne à lui et que je me sente seule sans lui.

J’ai suivi les conseils d’H, qui avait la courtoisie de quitter la pièce pour me laisser seule avec M. Je n’étais pas vraiment rassurée.

J’ai dis à M. qu’il me manquait, que j’étais inquiète pour lui, que je ne l’abandonnerait pas et que lui non plus ne devrait pas m’abandonner, que j’avais besoin de lui.

Après quelques minutes l’expression est revenue dans ses yeux comme s’il se réveillait d’un long sommeil.

  -Ne t’inquiète plus Chloé, disait-il, je suis de retour. J’ai assez travaillé pour aujourd’hui.

Puis il m’a embrassée.

 

J’ai lu pas mal de livres sur la psychiatrie. Ce sujet m’a fascinée pendant un bon moment. J'ai lu des thèses sur la folie d’Artaud, Cocteau, Hölderlin, Goethe, Dali et d’autres. Certains ce sont perdus dans leur folie et ont fini à l’hospice. D’autres ont mené une vie "normale" jusqu’aux bout. J’ai lu aussi des livres sur M. Personne ne s’était aperçu de sa maladie, au moins on n’en parlait pas.

 

  -Une psychose n’est pas forcement un handicap dans la vie. Mais des gens qui s’en servent comme ton mari sont rares. La plupart des malades sont improductifs et c’est à cause de ça qu’il font du sur place. En effet, l’art semble un excellent moyen d’arracher à cette maladie des aperçus grandioses de l’âme humaine et des photographies instantanés de l’esprit.

J’admire ton courage Chloé.

  -Je vais te confier un secret, Bella. Je crois que je n’ai pu vivre qu’une relation aussi intense parce que moi aussi, je dois être disposée pour cette maladie sans le savoir. Je me suis rendue compte au fil des années, en observant et vivant avec M.

Quand j’étais encore danseuse je pouvais m’entraîner pendant des interminables heures sans ressentir la moindre fatigue. Aucune de mes collègues n’arrivait à tenir ma cadence. Aujourd’hui encore j’ai des longues phases d’insomnies où mon sommeil ne dépasse rarement quelques petites heures. Je me sens increvable et je déborde d’énergie. Puis, subitement je craque et me perds dans mes abîmes.

  -J’ai du mal à te croire. Tu me parais si parfaite, si affirmée, si sure de toi.

  -L’un n’empêche pas l’autre, Bella. Ne te fie pas trop aux apparences. Aucun être n’est constamment fort. Chacun a ses moments de faiblesse. Personnellement je pense que tu as le potentiel de devenir plus forte que moi.

Tu possèdes un quotidien qui t’empêche de t’abandonner à la rumination. Quand tu es dans ta bibliothèque, il faut que tu assures. Tu ne peux pas envoyer un lecteur sur les roses en prétextant une déprime. Tu dois être présente en permanence et agir selon les exigences de ton travail. Ceci implique forcement un contrôle de soi et une autodiscipline.

Le matin quand tu te lèves pour aller travailler, tu ne te poses pas la question si tu as envie ou pas. La vie te contraint à exercer un métier dans lequel tu puises ta force.

Tu as des repères, tu es stable et c’est ça qui t’immunise contre la dépression.

Bien sur, tu as des peurs et angoisses comme tout le monde, mais elles ne deviennent que dangereuses quand elles s’incrustent dans la vie de tous les jours, quand ils t’empêchent d’accomplir des actes quotidiens.

Moi je ne suis soumise à aucune contrainte extérieure. Je peux librement décider ce que veux faire de mes jours. Je n’ai pas de repères ni du travail stable. J’ai à chaque instant le choix : sombrer dans la déprime à cause d’une vie qui n’est que futilité ou me créer des envies qui me font plaisir et qui me soutiennent. J’ai quarante-deux ans et j’ai eu la chance de réaliser à peut près tout ce qu’on peut demander à la vie. Malgré cela je suis encore assoiffée de nouvelles expériences. C’est cette soif-là qui nous lie et nous unie. Moi j’ai l’habitude de l’assouvir. Ce côté de moi t’attire et me rend forte et invulnérable à tes yeux.

  -Tu as raison Chloé. J’ai tendance à voir en toi une initiatrice chevronnée. Parfois je me demande si tu ne t’ennuies pas avec une femme aussi peu expérimentée que moi.

  -Il faut trouver le bon équilibre entre nos discussions et nos distractions. Assez parlé pour aujourd’hui. Il faut passer à l’action. Tu me veux en initiatrice, bon d’accord.

 

suite

Par isabelle183 - Publié dans : La fille aux cheveux noirs - Communauté : Ecritures Sensuelles
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